mercredi 22 février 2012

L'affaire Jennifer Jones, d'Anne Cassidy

Après la lecture des premières pages du livre, j'avais noté quelques commentaires sur un bout de cahier :
 - J'avais trouvé cela dommage que le suspense ne dure pas longtemps : dès le début, j'avais fait le lien entre Alice Tully et Jennifer Jones.
- Personnage attachant et compliqué psychologiquement.
- Style d'écriture agréable, j'aime la façon dont les faits sont présentés.

Malgré les quelques points négatifs comme le manque de suspense, le personnage de Frankie que j'ai trouvé "creux" et pas assez développé (même si le but du livre n'est pas d'être une histoire d'amour), j'ai dévoré Jennifer Jones.
Pour moi, il fait partie de ces livres qu'on lit d'une seule traite, en une journée. Ces livres qu'on ne peut pas lâcher, qu'on lit en mangeant, dans son bain, puis finalement jusqu'à 3 heures du matin pour atteindre la dernière page avant de dormir. Ces livres qu'on est déçu de refermer et de ranger dans une bibliothèque tant leur lecture nous a plu, tant on n'aurait pas voulu qu'ils s'arrêtent.
Evidemment, je conseille ce livre, comme la plupart de mes camarades de classe, surtout à des adolescents pour lesquels l'esprit critique et le libre arbitre sont en train de naître et d'adopter leurs multiples facettes.
Je pense qu'il serait très intéressant d'organiser un cercle de lecture sur Jennifer Jones dans une classe de secondaire, car les réactions peuvent s'avérer très variées et riches en contrastes.
J'imagine aussi que nous pourrions organiser le procès grandeur nature de Jennifer Jones : les élèves seraient juges, composeraient le jury, un d'entre eux serait l'accusé, l'autre l'avocat, d'autres les parents de la victime, etc.
Nous pourrions aussi voir la presse grâce à ce livre et demander aux élèves d'écrire un article sur l'Affaire Jennifer Jones, non pas le livre, mais le sujet de celui-ci, comme si le crime était réel et actuel.

Soit, pour moi, ce livre est une découverte dont je me réjouis et que je garde dans un petit tiroir de ma tête : je me ferai un plaisir de l'exploiter lorsque j'aurai ma propre classe !


Petite merveille pour aborder le théâtre en classe...

Lors de mon stage précédent, j'ai eu le théâtre comme sujet principal. Comme introduction, j'ai eu comme première idée de plonger les élèves directement dans le feu de l'action, en leur faisant découvrir une pièce adaptée (et non pas un de ces grands classiques qu'ils ont tendance à trouver rébarbatifs rien qu'à la vue du titre...).
Donc, direction "La Parenthèse", étagère théâtre. Premier livre dans lequel je poigne : "Marie des grenouilles" de Jean-Claude Grumberg, et c'est le coup de foudre.
Dès la lecture des premières lignes, je suis conquise : beaucoup d'humour et de tendresse, dans une langue certes un peu désuète mais utilisée de façon fort intéressante dans le contexte de la pièce.
Mais, je cesse d'essayer de vous vendre ma camelote dès maintenant, voyez plutôt l'extrait que j'ai abordé avec les 2e ci-dessous :


Marie des grenouilles
Dans un pays aussi lointain qu’imaginaire, le roi va mourir. L’ennemi est aux portes du royaume. Marie des grenouilles doit sauver le pays en trouvant un prince charmant dans le monde des grenouilles. Mais, sans fée ni baguette magique, le monde des batraciens est aussi noir que celui des hommes. Marie découvre enfin le prince brillant, qui, en lieu et place de la guerre, propose la paix, « qui est bonne pour tout le monde ».


L’auteur en quelques mots…
Jean-Claude Grumberg est né en 1939. Son père est mort en déportation. Après avoir exercé divers métiers, il devient comédien. L’écriture théâtrale commencée en 1968 le conduit à mettre en scène notre histoire moderne et sa violence, dont sa trilogie sur le thème du génocide (Dreyfus (1974), L’Atelier (1979)  et Zone libre (1990). J.-C. Grumberg est aussi scénariste pour le cinéma et la télévision. Il a reçu deux Molière du meilleur auteur pour Zone libre en 1991 et L’Atelier en 1999, pièce également récompensée par le grand prix de la SACD.

Les personnages :
Le conteur
Le roi
Le chambellan
Cunegonda
Virginita
Marie
Le prince sanguinaire du Mexique
Le prince brillant
L’ennemi
La fée
Et des grenouilles…

LE CONTEUR

Dans la nuit des temps, dans l’obscurité des âges, lorsque la terre n’était encore que forêts bien sombres coupées de lacs, d’étangs et de mares, les grenouilles que la Très-Haute dans sa sagesse avait créées à son image s’épanouissaient et prospéraient, pacifiques et solidaires, dans le calme des eaux, sous la verdure des rameaux, à l’ombre des nénuphars.
Hélas, bien vite les grenouilles se divisèrent et se diversifièrent. On en vit apparaître des vertes, des rousses, des tachetées, des rayées, des moirées, des phosphorescentes, des muettes et des chanteuses, géantes ou microscopiques, communes ou rainettes, toutes se prétendant seules faites à l’image de la très haute et divine grenouille. 
Bientôt les grenouilles mâles et femelles, toutes boursouflées de haine, finirent par se mener une guerre incessante, chacun chacune tentant d’occire ou d’asservir les autres. Ulcérée et amèrement déçue de ses créatures, la Très-Haute, dans sa sagesse, expédia près des mares, lacs et étangs des nuées de fées afin de changer en hommes les plus belliqueuses d’entre elles.
Bien vite la quiétude revint près des nénuphars. Les grenouilles organisèrent leur territoire, chaque espèce selon ses qualités et ses goûts se vit dotée d’une parcelle sur les berges avec accès direct à l’eau, les nénuphars restant accessibles à toutes. Las, les grenouilles agressives, une fois changées en êtres humains, se comportèrent sur la terre comme elles étaient comportées dans l’eau. Bientôt, ce ne fut pas par les bois et les champs qu’insultes et malédictions, blasphèmes et sarcasmes, haine, haine et haine.  Chacun chacune raillant la couleur de l’autre et jusqu’à son odeur, chacun chacune se traitant d’affreux crapaud avant de se jeter l’un sur l’autre pour en découdre, toujours au nom de la Très-Haute. Celle-ci alors renvoya des fées avec mission de retransformer et de réexpédier les meneurs les plus violents à l’ombre humide des étangs. Ainsi, au fil des premiers âges, tantôt grenouilles, tantôt humains, les plus belliqueux d’entre tous régnèrent sur l’un et l’autre monde, l’aquatique et le terrestre. Bientôt la discorde régna partout, tant sur la terre ferme que sur les étangs. La Très-Haute détourna alors son regard loin des mares et forêts, des plaines et des villages, les fées cessèrent de transformer les grenouilles en princes, charmants ou non, et les sorcières se lassèrent de retransformer les princes charmants en grenouilles, voire en crapauds chanteurs.
C’est en ce temps de désordres, de tristesse et de troubles que commence notre histoire.

À la cour du roi.
LE CONTEUR
Il était une fois dans un pays lointain un roi qui sur son lit de mort gémissait. Il fit venir tout son peuple et lui dit :

LE ROI
Mes enfants, je vais mourir, hélas je n’ai pour me succéder que des filles, l’une d’entre elles régnera, mais alors l’ennemi, sachant que vous n’êtes plus protégés par le bras d’un roi fort et vigoureux, envahira notre beau pays, pillera vos maisons…
Il sanglote.
LE CHAMBELLAN
(affolé)

Que faut-il faire, ô grand roi ?

LE ROI
Il faut que ma fille aînée et très aimée Cunegonda trouve parmi les grenouilles qui coassent dans les douves du château la grenouille de sang royal qui n’attend qu’un chaste baiser virginal pour redevenir un grand noble et preux prince charmant. Oh ! Je meurs…

LE CHAMBELLAN
Vite, qu’on aille quérir les grenouilles afin qu’une à une la princesse les baise.

CUNEGONDA
Jamais, jamais je ne poserai mes royales lèvres sur des rotondités baveuses et boutonnantes ! Jamais !

LE CHAMBELLAN
Même s’il s’agit de sauver le royaume et d’obéir aux royales volontés de feu votre royal paternel ?

CUNEGONDA
Je préfère renoncer au trône et ne me jamais marier.

LE CHAMBELLAN
(se tournant alors vers la seconde fille)
Virginita, princesse cadette et non moins aimée, après l’âpre renoncement de votre aînée, êtes-vous prête à tout faire pour régner et sauver le royaume ?

VIRGINITA
Je suis prête.
LE CHAMBELLAN

Vite, les grenouilles !
VIRGINITA
Je suis prête à embrasser toutes les grenouilles et tous les crapauds que vous aurez la bonté, noble chambellan, de me présenter, mais hélas je crains que ce ne soit en pure perte. N’est-il pas exigé de l’embrasseuse qu’elle n’ait jamais embrassé auparavant ?

LE CHAMBELLAN
Auriez-vous déjà embrassé, princesse ?
(Elle baisse les yeux. Le chambellan, avec espoir.)
Des grenouilles ?
(Virginita fait non de la tête.)
Des garçons ?
(Elle approuve. Le chambellan, écrasé de douleur.)
Ciel ! Enfer ! Malédiction et tout et tout…
(Silence pesant, prolongé et désolant.)
Seriez-vous prêtes, princesses, l’une d’entre vous tout au moins, à épouser l’ennemi quand il se présentera ?

TOUTES LES DEUX
Jamais !
CUNEGONDA
La dépouille mortelle de notre illustre père n’est pas encore ensevelie que déjà vous nous faites des propositions contraires à l’honneur et à la glorieuse histoire de notre lignée glorieuse !

VIRGINITA
Honte sur vous, chambellan !

LE CHAMBELLAN
Fort bien, dans ce cas qu’on aille quérir Marie des grenouilles et qu’on lui offre le trône !

VIRGINITA ET CUNEGONDA
(d’une seule voix.)
Marie des grenouilles ? Le trône ?

CUNEGONDA
Cette souillon n’est pas de sang royal, que je sache…

LE CHAMBELLAN
Détrompez-vous, princesse aimée, votre père l’engendra un soir d’ivresse. Après ripaille, il tomba dans les douves et…
VIRGINITA
Ne me dites pas que la mère de Marie des grenouilles est elle-même batracienne ?

Le CHAMBELLAN
Non, c’était la souillonne des grenouilles en ce temps.

CUNEGONDA
La souillonne ?

LE CHAMBELLAN
Celle qui comme Marie aujourd’hui a pour mission de faire taire les grenouilles qui coassent la nuit dans les douves afin que le roi et sa cour puissent dormir tout leur saoul sur leurs deux oreilles.

CUNEGONDA
Comment les fait-elle taire ?
LE CHAMBELLAN
En les frappant dès qu’elles chantent d’un coup de rame sur la tête. Mais voilà Marie, souillonne des grenouilles.
Approche, ne crains rien.
CUNEGONDA
Pouah ! Elle est verdâtre.

VIRGINITA
C’est Marie des crapaudes, oui.

CUNEGONDA
Elle sent la vase à plein nez…

LE CHAMBELLAN
Sois la bienvenue.

MARIE
(tremblante)
Côa ? Côa ? Côa ?

LE CHAMBELLAN
Ne parlerais-tu plus langue humaine ?

MARIE
Qu’si, qu’si, qu’si !
Elle fait d’énormes bulles.
Les princesses pouffent.

LE CHAMBELLAN
Sache, Marie des grenouilles, que tu es fille de roi.

MARIE
(elle s’en étrangle)
Côaaa ? Côaaa ? Côaaa ? Côaaa ?


LE CHAMBELLAN
Et que si tu consens à baiser sur la bouche le prince charmant qui végète à coup sur dans l’eau de nos douves sous la peau d’une grenouille, tu régneras. Il deviendra notre roi bien-aimé et toi notre reine.

MARIE
Reinette, je préfère.

LE CHAMBELLAN
Soit, reinette, mais presse-toi, j’entends déjà l’ennemi fourbir ses armes.

MARIE
Je vais les baiser toutes, grenouilles et crapauds aussi s’il le faut.

LES DEUX SŒURS
Pouah !
(Elles en crachent de dégoût.)
Quelle dégoûtation !

LE CHAMBELLAN
Avant tout, ôte-moi d’un doute : as-tu déjà embrassé ?

MARIE
J’ai déjà embrassé et de bon cœur.

LE CHAMBELLAN
(mort de crainte)
Des garçons ?

MARIE
Non, des grenouilles.

LE CHAMBELLAN
(soulagé)
Ah ! Et aurais-tu déjà au hasard de tes chastes baisers libéré un prince charmant preux et vaillant ?

MARIE
Jamais, mais il faut dire que je n’y pensais pas.

LE CHAMBELLAN
Penses-y désormais, baise avec ardeur en prononçant cette formule magique : « Noble grenouille, si prince tu fus, que ce chaste baiser te rende forme humaine. »

Fin de l'extrait. 

Les 2e ont mordu à l'hameçon, et l'introduction au théâtre a cartonné : tous ont voulu participer, les conseils pour l'interprétation ont fusé de partout, et la leçon est partie comme sur des roulettes !